J’accuse

J'accuse les journaux

J’accuse d’incompétence journaux et instituts de sondage

Nous sommes au surlendemain de l’élection, et non, ce n’était pas un cauchemar. Donald Trump est le président élu des Etats-Unis. Elu à la régulière dans un pays démocratique. Et élu pour quatre ans.

Vous l’avez sans doute remarqué, depuis quelques semaines je ne publiais plus qu’un unique article et toujours en anglais. Aujourd’hui est l’exception. Je repasse à ma langue maternelle pour un acte de digestion électorale publique.

J’habite dans le Maryland, dans une banlieue chic de Washington. Si je montais maintenant dans ma voiture, je serais en 30 minutes devant la Maison Blanche. Ma petite ville et la capitale sont des bulles démocrates. Que ce soit en Virginie ou au Maryland, toute la banlieue proche de Washington est bleue-démocrate.

Ces derniers mois, il fallait s’éloigner vers la baie de Chesapeake ou dans les campagnes du Maryland et de la Virginie pour voir tout de suite des pancartes supportant le candidat républicain. Je l’ai fait, je l’ai vu et j’en ai parlé dans ce blog.

Pourtant, le résultat du 8 novembre m’a pris à froid. Comme il a surpris tous mes amis, américains ou non.

Hier matin, après une courte nuit, agitée, j’ai décidé de rompre les ponts pendant une semaine avec les journaux et les réseaux sociaux. Et oui, cela a bien marché : pendant 24 heures, l’ambiance fin du monde a disparu de mon radar. Le choc a été rude aujourd’hui quand les tîtres des journaux m’ont agressé à la caisse de mon supermarché. C’est là que ma colère, refoulée peut-être, écrasée sans doute par l’angoisse, a trouvé son chemin.

Deux jours plus tard, où sont les excuses aux lecteurs pour leur manque d’objectivité et erreurs si monumentales de projection ? Cela vaut un mea culpa public, première page obligatoire, mince alors !

Quelques minutes plus tard, j’ai laissé libre champ à ma rage quand je suis passée devant une maison affichant rien moins que neuf pancartes Trump-Pence. Je passe devant cette maison tous les jours, ou presque. Elles n’y étaient pas avant la victoire de Trump.

Est ce cela l’Amérique de demain ? Une Amérique sûre de son racisme, misogysme et bigoterie ?

J’accuse les journaux

Les journaux m’ont bercé, moi et tant d’autres, dans l’illusion qu’une victoire de Trump était hautement improbable. Si je regarde la couverture de la campagne par le New York Times ainsi que celle de la soirée électorale sur CNN, je vois des chiffres, encore des chiffres et toujours des chiffres.

CNN et sa carte électorale

Le soir de l’élection, à partir de 18h00, CNN a passé en boucle la carte du vote national. Quiconque parmi vous l’aura suivi, sera sans doute dégouté pendant quelques années des soirées électorales américaines, et pas seulement à cause du résultat. J’ai vu cette carte non stop, pendant sept heures. A une heure du matin, je suis allée me coucher, acceptant l’inévitable.

Je reconnais cependant une technique impressionnante derrière cette carte. Chaque état (State) était représenté par ses comtés. Des barres donnant l’avancement du dépouillement, le décomptage des voix, les votes traduits en pourcentage permettaient une analyse très poussée des résultats.

Amour des chiffres ? Je dirais plutôt besoin de donner profusion d’information, besoin d’étayer les mots par des faits. J’ai vu ce soir là l’héritage allemand dans la profusion des données. Le saviez vous ? Il y a quelque 50 millions d’Américains avec des ancêtres allemands, le moins célèbre étant sans doute leur nouveau président (son grand-père vient de Kallstadt, une petite ville du sud-ouest de l’Allemagne qui est à moins d’une heure de route de l’Alsace).

Mais pourquoi nous abrutir avec ces chiffres ? Est ce pour nous faire oublier que vous avez été incapable de faire une, une seule prévision correcte avant le soir de l’élection ? C’est quand même assez fort, n’est-ce pas ?

Le modèle de prévision du New York Times

Pendant la campagne, le New York Times a publié ses propres estimations, utilisant des modèles statistiques basés sur des sondages. Il compila en outre les résultats d’autres prédictions, venant elles de journaux ou d’organisations indépendantes, spécialistes des élections. Le Huffington Post en fait partie, ainsi que 538, le site de Nate Silver, statisticien et écrivain américain, spécialisé dans les calculs statistiques des résultats des élections (et de la ligue de baseball).

Le 24 septembre 2016, le New York Times a déclaré son soutien pour Hillary Clinton. Avec le recul et le résultat de l’élection, je me demande si avec d’autres prévisions, il l’aurait fait. Tous les jours, je pouvais lire dans ses pages le chiffre indiquant les chances de gagner de l’un ou l’autre candidat. Leur modèle Upshot a toujours donné Clinton gagnante lors der dernières semaines, des derniers mois. Il n’a basculé que vers 22h30 le 8 novembre.

Pardonnez moi l’expression, mais ils se sont royalement plantés.
J'accuse le New York Times

J’accuse aussi les instituts de sondage

Sondage, joli sondage, dis moi qui sera le prochain président ?

Hillary Clinton, bien sûr, avec une probabilité de 85% (New York Times) ! Ou 71,4% pour Nate Silver !

J'accuse Nate Silver

Je les trouve bien nuls ces sondeurs américains. Déjà dans les primaires, ils s’étaient bien souvent trompé. Nate Silver en faisait un article le 2 juin dernier. Dans le “State of the Polls, 2016” il montrait, chiffres à l’appui, que

“Still, the average error in primary polls this year was a whopping 9.4 percentage points, worse than the average of 8.1 percentage points in all presidential primaries since 2000”.

Excuse me ? 9,4% d’écart entre le sondage et le résultat final est pire que la moyenne de 8,1% pour toutes les primaires depuis 2000 ? Mais 8,4% c’est é-nor-me, Monsieur Silver !

Quand je suis arrivée au bureau hier matin, j’étais très remontée par les titres des journaux et par cette foutue maison qui d’un seul coup nargue ses voisins. Heureusement, j’ai la chance de partager mes bureaux avec Sophie, française vivant comme moi aux Etats-Unis depuis quelques années et qui a travaillé pour TNS Sofres en France.

Sophie m’a appris que les instituts de sondage américains sont connus pour leurs mauvaises performances. Je vais vous passer les détails de notre conversation très animée et je ne dirais qu’une chose : Messieurs les sondeurs d’opinion politique, vous êtes payés des millions et peut-être même des milliards de dollars et vous n’êtes pas foutu de faire votre travail correctement ??

Je suis une professionnelle du marketing avec plus de 20 ans de bouteille. J’en ai fait des études de marché, certes pas dans le domaine politique, mais une boîte qui faisait mal son boulot, on négociait le prix largement à la baisse. Où mieux, on le lui faisait refaire. Dommage pour Madame Clinton, dommage pour tous les journaux, ils n’ont, eux, pas cette chance.

Le mot de la fin

J’ai pris un café ce matin avec une nouvelle voisine qui m’a raconté une anecdote ne datant pas plus qu’hier, lendemain de l’élection.

Assis dans le métro direction Washington, son mari voit une jeune femme signaler à une dame plus âgée qu’elle souhaiterait s’asseoir sur le siège où se trouve son sac à main. La vieille dame lui répond non. La jeune femme est interloquée et ne sait pas quoi dire. Un homme, costume cravate, le fait à sa place et redemande à la vieille dame de libérer la place. Elle continue à refuser, sans plus d’explication. L’homme s’énerve et finit par la traiter de “Fucking asshole”. Entre temps un autre passager, outré, s’est levé et a cédé sa place. La dame âgée descendra à la station suivante.

La jeune femme était américaine, d’origine asiatique. La vieille dame était blanche.

C’est cela l’Amérique de demain ?

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