Facile de changer de métier aux Etats-Unis ?

Changer de métier aux Etats-Unis

Il est plus facile de changer de métier aux Etats-Unis qu’en France

Depuis que je vis aux Etats-Unis, je suis fascinée par ces personnes qui changent complètement de métier. Je connais une traductrice expérimentée qui est maintenant en charge de la collecte de fonds pour une ONG. Ou bien une spécialiste des investissements qui fait du conseil sur la diversité. Ou pour rester dans mon métier, un graphiste devenu directeur d’un département marketing. Des changements de carrière inimaginable en France ou en Allemagne.

Pour comprendre le phénomène, j’ai parlé avec Sheila McKenna, conseiller en carrière au Fonds Monétaire International (FMI). J’ai aussi interviewé Sybille Memin Ozanian, coach professionnel et Sophie Caporossi, agent d’artistes français.

Depuis 2014, Sophie représente avec succès des artistes français aux Etats-Unis. Avant de se lancer dans l’aventure de Batignolles in DC, elle a cherché à rester dans son domaine de compétence, le marketing des médias. En vain. Je lui ai demandé pourquoi elle avait décidé de changer de direction:

“C’était compliqué de retrouver un poste équivalent à ce que je faisais à Paris (Sophie était directeur adjoint du département média chez TNS Sofres), mon domaine est quasiment inexistant sur Washington. A New York, c’est sur que cela aurait été plus facile. A mon arrivée, mon anglais et mes connaissances de la culture et du marché américain n’étaient pas suffisants pour un poste de manager. Ce n’était pas un problème de diplôme, j’ai décroché de nombreux entretiens mais aucun n’a abouti. J’étais aussi prête à recommencer sur des postes juniors, mais là je n’ai pas eu un seul entretien. J’aurais du peut-être être plus patiente, mais j’en avais vraiment assez d’être à la maison et je voulais surtout retravailler rapidement.”

Lors de mes premiers mois à Washington, j’ai appris une expression américaine terrible: les Trailing Spouses. Elle décrit les épouses arrivant aux Etats-Unis sans emploi, accompagnant leur partenaire lui avec un contrat. Je traduirais Trailing Spouse par “conjoint à la traîne”. C’est un terme terriblement péjoratif, puisqu’il réduit le partenaire à une entité négligeable, celui du suiveur, du personnage passif qui subit un changement.

En laissant le terme à part, il est vrai qu’il y a beaucoup de femmes expatriées sur la capitale américaine qui n’ont pas de permis de travail, des époux qui voyagent beaucoup et des familles nombreuses à gérer. Quelques unes n’ont pas l’ambition de travailler, d’autres ne parlent pas assez bien anglais pour rentrer dans le monde du travail.

Quand Sophie Caporossi est arrivée au bout de sa patience, elle a décidé de repartir à zéro. Je lui ai demandé si cela aurait été possible en France :

“Non, non, cela ne m’aurait même pas traversé l’esprit. En France, il te faut les bons diplômes pour faire carrière ! Si tu ne les as pas, tu n’es pas fiable. Ici, tu peux démarrer à partir de rien. Si tu ne demandes rien à personne, tu es quand même tout de suite crédible. Moi, je suis arrivée avec un produit inexistant : il n’y avait pas d’artistes français exposés à Washington. Et je me suis vite rendue compte que j’étais légitime pour les représenter parce que je suis Française et parce que je suis passionnée par l’art. Les Américains sont au moins prêts à t’écouter une première fois et à te donner une chance.”

Sophie est très claire quand elle parle des Français :

“Quand j’ai présenté mon projet autour de moi, à part quelques rares exceptions, personne ne m’a encouragée. Au contraire, on ne m’a parlé que des obstacles à surmonter. Du pur négativisme. C’est vraiment un gros défaut de la culture française ! Ici aux Etats-Unis, l’échec n’est pas stigmatisant, au contraire on le voit comme une expérience enrichissante.”

Google sort 6,5 millions de résultats quand on recherche “Donald Trump failures” (pour échecs de Donald Trump). Cela ne l’a pas empêché de devenir le milliardaire que l’on connaît aujourd’hui… et le candidat républicain à la prochaine élection présidentielle. Le magazine Fortune en a fait un article au titre révélateur “How Donald Trump Made Millions Off His Biggest Business Failure“.

Changement de métier en France

Sybille Memin Ozanian a travaillé longtemps en France dans les ressources humaines de grandes sociétés (Johnson & Johnson, Metro Cash & Carry). Aujourd’hui elle accompagne comme coach privé ou professionnel des hommes et des femmes qui souhaitent un mieux vivre.

A part les cas particuliers des programmes “Haut potentiel”, elle ne connaît personne travaillant dans un autre domaine que celui dans lequel il avait été formé. Elle en donne plusieurs raisons :

– le contexte économique difficile avec un taux de chômage élevé. De nombreuses candidatures arrivent pour chaque offre d’emploi, certaines dépassant la centaine pour un seul poste.

– les coûts cumulés du travail et du recrutement n’encouragent pas à la prise de risque

– la mentalité en France qui est très attachée aux diplômes. Il faut de plus avoir fait ses preuves !

– les ressources humaines peuvent encourager une candidature atypique mais la décision finale revient au département qui recrute

Selon la coach, riche de son expérience dans les relations humaines :

“On devrait prendre le risque plus souvent. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ après 15 ans dans le même job, on ne ressente une certaine lassitude. A mon avis, les candidats manquent de fraîcheur pour trouver des solutions originales. Même si mes clients ont accepté de recevoir un candidat qui sortait du moule, ces candidatures n’ont jamais abouti.”

Pourquoi une telle différence entre la France et les Etats-Unis ?

“Il est tellement plus facile de licencier aux Etats-Unis. En France, il faut des motifs valables et justifiés pour se séparer d’un salarié, un préavis entre 1 et 6 mois, et des charges patronales additionnelles importantes.” explique Sybille Memin Ozanian.

L’emploi aux Etats-Unis est gouverné par la doctrine du “at-will employment”. Grosso modo, cela veut dire que l’employeur, mais aussi l’employé, peut mettre fin à tout moment au contrat, sans avoir à se justifier. Brutal pour les salariés, c’est efficace pour les employeurs qui peuvent se permettre de mauvais choix sans autre conséquence qu’un nouveau recrutement.

Inutile de dire que les grèves en France attirent peu de compréhension dans les médias américains. CNN tîtrait le 2 juin “Mais pourquoi les Français sont ils à nouveau en grève ?”. Je vous renvoie à leur article (en anglais) qui explique avec les lunettes américaines la grève anti-loi travail en France.

Est il si facile de changer de métier aux Etats-Unis ?

Sheila McKenna connait les facteurs clefs qui permettent un changement de carrière aux Etats-Unis. Depuis 2008, Sheila aide les fameuses “trailing spouses” du FMI à retrouver un emploi sur la région de Washington. Elle a été très surprise d’apprendre que changer de carrière est pratiquement impossible en France.

Sheila, est il facile de changer de métier aux Etats-Unis ?

“It’s all about transferable skills. But the conversation has to happen. So, what you need is one person to put you in the right direction. Once the door is open, if you have worked on your resume, and if you are able to point out to the transferable skills, then you have a real chance.”

Finalement, il s’agirait donc d’avoir un bon réseau ?

“Definitely. One of the real keys is to know the right people, because if you don’t get the opportunity to talk to these people, career change is much harder. Networking is a must. Talking to friends, neighbors, former co-workers, and letting them know you are in a job search and hope to make a career change.”

Sheila, avez vous une recommandation pour réussir à changer de métier aux Etats-Unis ?

“Ask your network for their opinion. My favorite question when networking: What would you do if you were me?”

Sheila, elle même, est un bel exemple de transition réussie. Avant de travailler au FMI en tant que Conseiller en Carrière, elle était Chief Learning Officer dans une grande ONG (Organisation Non Gouvernementale). Dans cette position, elle était responsable des trainings et plans de développement des employés. Depuis 2008, elle a aidé des centaines d’époux/épouses à trouver un emploi, et pas forcément dans la carrière qu’ils avaient auparavant.

Crédit photo by olly

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4 Comments

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  1. says: Alexandra Samson

    Ce blog est formidable! Professeur de français aux USA, je l’ai recommandé à mes étudiants pour qu’ils fassent un peu de français en découvrant les diversités culturelles. Nous avions justement parlé en cours récemment de la flexibilité du travail aux USA vs l’immobilisme français (surtout en ce moment avec les grèves dues à la loi El Khomri.

    1. says: Catherine

      Alexandra, you made my day!
      Merci, et au plaisir de vous revoir dans les commentaires.