Les Etats-Unis, pays de cowboys à la gâchette facile ?
J’avais pour règle de ne pas parler politique ou religion dans ce blog. Mais parler des armes aux Etats-Unis sans parler politique va être difficile. Suite à un événement personnel, je me suis intéressée de plus prêt à la violence, aux fusillades et raisonnements des Américains par rapport aux armes. C’est un poste plus personnel que d’habitude, et j’aimerais bien savoir ce que vous pensez sur le sujet.
Lock-down dans les écoles de mes trois enfants
Vendredi dernier, la peur de ma vie. En l’espace de quelques minutes, j’ai été bombardée par des courriels, textos et appels venant des écoles de mes enfants. Suite à une fusillade au centre commercial de notre quartier, les écoles ont été barricadées. Un nouveau mot anglais a enrichi depuis mon vocabulaire : lock-down. Lors d’un lock-down ou bouclage en français, plus personne ne peut rentrer ou sortir d’un bâtiment.
Mes enfants ont respectivement 5, 6 et 16 ans. Ils vont dans trois écoles différentes. Seule mon ainée a pu raconter concrètement comment cela s’est déroulé. D’abord une annonce par les haut-parleurs :
“Ceci n’est pas un exercice. Nous sommes jusqu’à nouvel ordre en lock-down. Ne paniquez pas, il n’y a pas de danger immédiat et suivez les instructions de vos professeurs.”
Rien qu’en l’écrivant, j’en ai la chair de poule.
La salle de classe a été fermée de l’intérieur, les rideaux obscurcissants descendus. Les élèves se sont assis par terre, le long des murs et loin de la porte. Ils sont restés ainsi pendant trois heures, reliés à l’extérieur par l’internet. A 14h30, fin de l’alerte, ils ont pu aller déjeuner avant de reprendre les cours. Oui, reprendre les cours !
La veille, un policier, suspendu de ses fonctions, a tué sa femme sur le parking de l’école où elle travaillait. Le lendemain, il tuait deux autres personnes en essayant de leur voler leur voiture. Trois personnes ont été blessées lorsqu’elles ont essayé d’intervenir. Le tout s’est passé dans un périmètre de quelques kilomètres, conduisant à un bouclage des écoles.
Voilà pour mon vécu. Mes enfants vont bien, personne n’est franchement traumatisé. Mais il est temps pour moi de parler de la place des armes aux Etats-Unis.
Combien il y a t’il d’armes aux Etats-Unis ?
Beaucoup.
Dans un article d’octobre 2015, le Washington Post publiait ce graphique : il y aurait plus d’armes aux Etats-Unis que de personnes, soit 357 millions d’armes contre 309 millions d’habitants.
Qui possède une arme aux Etats-Unis ?
En 2015, dans un sondage Gallup pour Business Insider, 44% des Américains disaient posséder une arme.
Romain Huret, historien spécialiste des Etats-Unis, considère que les armes à feu sont un objet culturel aux États-Unis :
“Ça peut paraître impensable en France, mais il existe aux États-Unis … des foires aux armes, où est présenté tout l’arsenal disponible sur le marché. On y va en famille, on essaye les fusils, puis on va s’entraîner avec ses enfants sur des champs de tir ; c’est un espace de sociabilité comme un autre.”
Grosso modo, tout le monde peut avoir une arme aux Etats-Unis. C’est un sujet que je n’ai jamais abordé avec nos amis américains, mais une maman allemande me racontait hier que des voisins américains demandaient toujours s’il y avait des armes dans la maison avant d’accepter une invitation pour leurs enfants !
Les Américains ont des armes pour se protéger
Danger réel ou non, les Américains ont des armes pour se protéger. 48% disaient en 2013 en posséder une à cet effet. Pourtant depuis 2000, le nombre de morts par armes à feu est stable (environ 12.000 morts par an). Mais 56% pensent que ce chiffre a augmenté lors des 20 dernières années.
La criminalité par les armes à feu aux Etats-Unis
Depuis mon arrivée à Washington, j’ai en mémoire 8 fusillades de masse (Colorado Springs, Roseburg, San Bernardino, Charleston entre autres). Une fusillade de masse est définie par au moins 4 personnes touchées, mortes ou blessées.
Certaines fusillades de masse peuvent faire la une en Europe (par exemple San Bernardino juste après les attaques de novembre 2015 à Paris) mais elles ne sont que la partie visible de l’iceberg :
– En 2015, le site de Shooting Tracker a recensé 362 morts lors de fusillades de masse aux Etats-Unis. Cela fait une fusillade par jour en moyenne.
– Toujours en 2015, selon l’organisation Gun Violence Archive, 36.800 personnes ont été blessées par armes à feu et plus de 12.000 ont été tuées.
– Les armes à feu sont aussi liées à plus de 21 000 suicides par an
La fusillade de vendredi à coté de chez moi est elle arrivée jusque dans les nouvelles allemandes et françaises.
Pourquoi tant d’armes aux Etats-Unis ?
C’est d’abord historique. L’Angleterre coloniale interdisait aux colons d’être armé, par peur de rébellion. Lors de la guerre d’indépendance, les colons ont crée des milices armées qui sont restées après la guerre, devenant l’armée des Etats-Unis.
Lors de la création du pays, les “Pères Fondateurs” ont donc disposé dans la constitution “le droit de chacun de posséder et de porter une arme pour ce qu’une milice bien organisée est nécessaire à la sécurité d’un Etat libre”. C’est donc un droit constitutionnel qui est fondamentalement ancré dans l’ADN des Etats-Unis. Il est plus communément appelé le deuxième amendement.
Toujours selon Romain Huret, l’historien spécialiste des Etats-Unis :
“Depuis deux siècles, tout le monde se bat sur le sens à donner à ce texte constitutionnel. Les opposants au port d’arme expliquent depuis toujours qu’il y a une surinterprétation de cet amendement. En revanche, les pro-armes le prennent à la lettre en récupérant l’histoire américaine à leur compte: les colons se sont défendus par les armes contre les Britanniques, permettant la naissance des États-Unis. Ainsi, le port d’arme est devenu une démarche de défense dans la tradition américaine.”
Attention à la généralisation
N’oubliez pas que le sujet est très sensible. Les Américains n’en parlent pas. Donc si vous l’abordez, allez y avec des pincettes. Christina Rebuffet, coach en communication anglaise, a publié dans ce post quelques recommandations pour mieux communiquer avec les Américains sur des sujets difficiles.
Les Américains sont très divisés sur la question des armes. Les Etats-Unis est un vaste pays. Il n’est donc pas surprenant que les avis varient largement. Dans une étude de 2015, 50% des sondés étaient pour le contrôle de la possession des armes contre 47% qui souhaitaient protéger ce droit.
Après une tuerie dans une école élémentaire en 2012, la majorité des Républicains (79%) et des Démocrates (88%) étaient d’accord pour renforcer un minimum la législation concernant les armes. Renforcer la loi quant à la vérification des antécédents, oui mais divergence quant à la tracabilité des ventes (85% de Démocrates favorable, seulement 55% des Républicains) et quant à l’interdiction des fusils d’assaut (70% des Démocrates contre 48% des Républicains).
Le droit de posséder une arme à feu est garanti par la Constitution, mais chaque état et dans une certaine mesure, des gouvernements locaux peuvent restreindre ce droit.
New York City est sans doute la ville la plus sévère puisqu’elle interdit à un citoyen normal de posséder une arme, même pour se protéger. Dans le Maryland, là où j’habite, le port d’arme de poing est très restrictif (permis obligatoire de port d’arme), mais pas celui des fusils (sans doute considérés comme armes de chasse).
N’oublions pas non plus le pouvoir de la National Rifle Association, qui selon Le Monde monopolise le débat sur les armes aux Etats-Unis : “Depuis une vingtaine d’années, elle a réussi à bloquer toute initiative destinée à durcir la législation sur les armes à feu”. Pour en savoir plus, je vous renvoie à cet article
Pour les partisans des armes, c’est parce qu’il n’y en a pas assez qu’il y a de la violence. Selon eux, si tout le monde avait une arme, il y aurait moins de tuerie. Ils argumentent aussi que les statistiques sont faussées parce qu’il n’est pas possible de compter les vies sauvées grâce au port d’une arme.
Le mot de la fin
Trois ans de quotidien américain, même dans une banlieue BCBG, m’ont ouvert les yeux sur la violence aux Etats-Unis.
Mon fils de 6 ans prend le bus scolaire tous les jours. L’arrêt est à moins de cinq minutes à pied. Dans notre petite rue, ils sont trois garçons à aller dans la même école. En Allemagne, je lui aurais enseigné à marcher en groupe jusqu’au bus. Ici, mon mari ou moi l’accompagnons tous les jours et attendons le bus avec lui. Comme presque tous les parents de la quinzaine d’enfants de l’arrêt de bus. Les plus vieux ont 11 ans.
Les films hollywoodiens ne sont pas le fruit de l’imagination des scénaristes, ils reflètent beaucoup du quotidien. Et si certains policiers ont à nos yeux la gâchette facile, essayons de les comprendre. Ce ne sont pas des cowboys, ils portent tout simplement le risque d’appréhender une personne armée.
Foto credit by @olly
J’espère que les enfants n’en resteront pas trop traumatisés.
Lorsque j’ai effectué mon service militaire (en 1966-67), je savais que certains de nos supérieurs gardaient cachés dans des tonneaux remplis d’huile des armes rapportées d’Algérie. Et ces armes existent encore, tout comme les nostalgiques qui organisent la bourse aux armes de Saint Maxire le W-E prochain à 10 km de chez nous.
Et oui, les armes ont une longue durée de vie.