Mais où est le Made in France ?

Coupole Galerie Lafayette
 
L’industrie du luxe aux mains de LVMH et PPR ? Que nenni, mes amis. De nombreuses PME allemandes font discrètement concurrence dans le haut de gamme et pas seulement dans les machine-outils ou l’automobile. La grande consommation est concernée aussi. Mais quels sont donc ces champions cachés de l’industrie allemande aux Etats-Unis ? 

Des marques allemandes discrètes

Récemment, j’ai été interpellé par des amis français lors d’un diner. Comment ça, Trader Joe’s c’est allemand ? Never, Catherine. Les Allemands sont in-ca-pa-bles de vendre de telles spécialités. Mon coté allemand – oui, oui, j’assume 20 ans chez les Teutons, trois enfants nés là-bas et un passeport supplémentaire – a pris le dessus. Je leur ai donc expliqué avec des faits bien cadrés et beaucoup de chiffres, bref à l’allemande, depuis quand Trader Joe’s était dans des mains allemandes et pourquoi cela marchait si bien. Je renvoie les curieux à ce post de la semaine passée concernant Trader Joe’s. Mes amis, eux, je les ai vus sceptiques sinon désabusés.

Cela m’a poussé à rechercher et comparer. Quelles sont les marques allemandes et françaises présentes en grandes surfaces et ailleurs aux Etats-Unis ? Quelle stratégie en terme de positionnement poursuivent elles ? Quelles sont les différences entre les deux ?

Après une semaine de recherche, je suis plutôt déprimée. J’ai trouvé de nombreuses marques allemandes et beaucoup moins de marques françaises au quotidien. Pourtant la francitude est bien présente dans les supermarchés. Je peux y acheter baguettes, croissants, madeleines que ce soit dans le Massachusetts, en Pennsylvanie ou en Floride. Pas besoin non plus d’être à New York ou Washington (la capitale, pas l’état du Nord Ouest) pour faire un plateau de fromage convenable. Il y a du Roquefort Société et du Boursin chez Giant ou Publix. Chez Trader Joe’s ou chez Cosco, vous trouverez du Comté ou du Petit Basque, un fromage délicieux au lait de brebis. Dans des petits supermarchés spécialisés, comme Rodman’s ou Balducci, vous pourrez compléter avec du Morbier ou du Saint-Albray. Toujours chez ces derniers, les rayons vin sont bien remplis de Champagne, Bordeaux et Côtes du Rhône.

La situation est légèrement différente si vous vivez dans le centre des Etats-Unis. Isabelle, mère de famille, pharmacienne et blogueuse vit aux Etats-Unis depuis six ans. Après un passage sur la côte Ouest, elle fait ses courses maintenant dans le Kansas. Pour garder le même niveau de qualité qu’en Californie, elle roule beaucoup entre Trader Joe’s, Whole Foods et Costco où elle achète produits frais, bio et parfois français.

Comparaison positionnement marques françaises et allemandes

Dans la vie de tous les jours, de grandes marques allemandes ne sont pas connues comme telles du public. Elles se sont positionnées comme marques américaines.

Marques françaisesMarques allemandes
Positionnement américain Dannon
Yoplait (?)
BIC
Aldi
Trader Joe's
T-Mobile
Adidas
Capri Sun
Haribo
Dutch Potatoes
Positionnement national Chanel
Louis Vuitton
Dior
L'Occitane
Lacoste
Evian
Perrier
Boursin
Baguettes
Croissants
Madeleines

Mercedes
BMW
Audi
Volkswagen
Porsche
Bosch
Miele
Siemens
Marques inconnuesRoquefort
Val Rhona
LU
Orangina
Nissan

Ritter Sport Schokolade
Va Piano
Crate & Barrel
Hugo Boss
Aspirin

Ma liste de grandes marques allemandes, connues du public, me semble plus fournie. La grande différence étant qu’elles sont perçues comme américaines : Adidas, T-Mobile, Aldi, Capri Sun, Haribo. Ce sont des marques de tous les jours. Les chaussures de sport de mon fils sont d’Adidas. Nous les avons achetées dans un magasin Adidas, ici, aux Etats-Unis. Nous avons sérieusement envisagé de prendre un forfait pour nos mobiles chez T-Mobile, filiale du géant allemand Deutsche Telekom. Nous allons parfois chez Aldi faire des courses, où nous trouvons évidemment des Capri Sun et des Gummibärchen, le classique en sucrerie pour les chères têtes blondes allemandes. Alors qu’il y a des Gummibärchen chez Giant et Aldi, pourquoi n’ai je encore jamais vu de fraises Tagada et de Carambar ici ? Et pourquoi pas de Carrefour alors que j’y ai déjà fait des courses au Brésil ?

Le générique français dans le quotidien américain

Il y a beaucoup de générique français dans l’alimentaire. Mais parmi les nombreuses chaînes de boulangerie et pâtisserie soit disant françaises, notre PAUL est bien petit. Les cinq filiales de la capitale américaine trompent sur son niveau d’implantation aux Etats-Unis. PAUL n’est ni à New York ni en Californie. D’après leur site, il y a en novembre 2014 neuf magasins aux USA et deux en passe d’ouverture. De même pour La Brioche Dorée qui a une trentaine de points de vente mais aucun à Washington. Le Pain Quotidien, une chaîne fondée en 1990 à Bruxelles, est mieux implantée avec une bonne douzaine de café-boulangeries dans la région de DC, une trentaine sur New York ainsi que d’autres enseignes sur Los Angeles, Chicago, Philadelphie et dans le Connecticut.

En revanche, Au Bon Pain (250 boulangeries-café), La Madeleine (63 restaurants-cafétéria) ou Paris Baguette (une trentaine de boulangeries-café) sont des entreprises américaines positionnées sur le français.

DannonQuand je fais mes courses, je peux acheter des yaourts Yoplait ou Danone, renommé ici Dannon pour être américain. Le goût et la texture des Dannon n’ont d’ailleurs rien à voir avec le produit français. Ils sont plus sucrés de goût et moins laiteux en consistance. Les papilles françaises se réjouissent en revanche des confitures Bonne Maman ou des biscuits Lu qui sont importés, comme Evian et Perrier. Et c’est là sans doute là qu’il faut trouver la grande différence avec les marques allemandes présentes aux Etats-Unis. Elles se sont adaptées au marché nord-américain et se présentent même comme américaine. A part Danone et les compotes en sachets GoGoSqueez (Pom’ Potes en France), je n’ai pas identifié d’autres marques françaises de grande consommation fortement intégrées dans le quotidien américain.

Hidden champions made in Germany

Le positionnement allemand est clair dans l’industrie automobile ou dans tout ce qui touche de près ou de loin la mécanique, les outils, l’électro-ménager. Les Américains qui en ont les moyens et qui souhaitent le montrer roulent en Mercedes, BMW ou Volkswagen. Réussir aux Etats-Unis est une qualité, montrer sa réussite en roulant dans des carrosses allemands est normal. Bosch et Miele sont les marques haut de gamme de l’électro-ménager que l’on retrouve dans les maisons cossues. Elles sont aussi connues pour être des marques allemandes.

Dans les produits de grande consommation, Haribo et Capri Sun font partie des succès non étiquettés allemands. Haribo comme Rudolf Wild, l’inventeur et propriétaire de la marque Capri Sun sont des entreprises familiales, créees au siècle dernier. Wild vient seulement d’être vendue en juillet 2014 pour 2,3 milliards d’Euro à un groupe américain, Archer Daniel Midlands.

Adidas et Aldi sont aussi à l’origine des entreprises familiales. Les frères Dassler ont fondé Adidas dans les années 20 du siècle passé. Les frères Albrecht ont repris le petit magasin de leur père en 1945 et en ont fait aujourd’hui une multinationale, Aldi, avec plus de 10.000 supermarchés discounts au monde. Les entreprises de tradition familiale jouent un rôle clef dans les performances à l’export de l’Allemagne. Selon un collectif sous la direction d’Isabelle Bourgeois „PME allemandes, les clefs de la performance“, 95% des entreprises allemandes sont encore aux mains de la famille fondatrice.

Les raisons du succès

Est-ce que cela veut dire que seules, premièrement, des PME et, deuxièmement, familiales peuvent réussir à l’export et aux Etats-Unis ? GoGoSqueez et Dannon sont pour les Américains des marques américaines. Haribo, Aldi, Adidas, Capri Sun aussi. Faut il donc s’adapter, s’intégrer au marché américain pour avoir du succès ? Il serait trop facile de répondre par l’affirmatif. Mes observations se sont limitées à des produits du quotidien.

J’ai souvent travaillé pour des sociétés françaises et allemandes. Echec et succès ont en commun la connaissance ou l’absence de connaissance approfondie du marché et le manque de moyens. Le capital du Made in France ou Made in Germany ne suffit pas ni pour expliquer un succès ni pour avoir du succès.

Une première explication est à trouver sur la nature même des produits exportés :

– La boulangerie-patisserie, les vins sont des produits à faible valeur ajoutée et facilement copiables. Aujourd’hui les vins
californiens sont excellents et locaux alors que les baguettes et autres viennoiseries sont devenues largement génériques.

– Les fromages français peuvent beaucoup polariser. Même en Allemagne, pays francophile, un chèvre affiné est très loin de
faire l’unanimité. De plus, les restrictions sanitaires de la Food and Drug Administration (FDA) ferment les portes rapidement
à qui n’en a pas les moyens.

– Les parfums et cosmétiques sont souvent positionnés sur le luxe. Le CEO de Macy’s, Terry Lundgren, décrit Chanel dans
l’hebdomadaire Bloomberg BusinessWeek du 24 novembre : „Chanel N° 5 ($98) is hard to find, so that’s one reason it
continues to be a spectacular brand“. Ce sont des produits qui ne sont pas identifiables au quotidien par les Américains,
contrairement à une BMW ou un lave-vaisselle de Bosch.

– La haute couture française touche une clientèle inaccessible au commun des mortels. Le luxe français ne se voit pas et est
réservé à une clientèle élitaire. Les marques haut de gamme allemandes s’affichent elles, comme un signe extérieur de réussite.

– Le Made in Germany est un symbole fort pour l’automobile, l’électronique, la mécanique de précision, etc. La qualité des
produits et des finitions est inégalée, assurant une excellente réputation dans un marché américain, pourtant habitué à
l’éphémère.

Une deuxième explication vient de la structure des exportations entre les deux pays. L’Allemagne était en 2013 le N° 3 mondial en exportation, la France venant en sixième position et ne réalisant que 40 % du volume total allemand. 98% des PME allemandes exportent. En France, ce ne sont que 35 %.

Comparaison France-Allemagne des exportations

Les Hidden Champions de l'Allemagne sont à chercher dans ses PME.
FRANCEALLEMAGNE
Volume des exportations 2013$ 579,59 milliards$ 1452,71 milliards
Part des grandes entreprises dans les exportations80 %82 %
Part des grandes entreprises qui exportent1,5 %2,5 %
Part des PME qui exportent35 %98 %

Enfin, une des forces des entreprises allemandes a toujours été dans la gestion des processus. Rigueur, préparation, efficacité encadrent leurs décisions. Il y a peu de place au hasard dans le management allemand qui s’appuie beaucoup sur le partenariat pour partager les coûts et limiter les risques. Delta pronatura, une PME allemande familiale, est connue pour ses détachants textiles en Allemagne. Elle s’est arrivée aux Etats-Unis en 1994 en s’engageant dans Carbona, une compagnie américaine complémentaire. 20 ans plus tard, Delta Carbona vend ses produits dans tous les Etats-Unis.

Conclusion

Il existe heureusement des contre-exemples. Lacoste se vend dans une centaine de magasins au travers de tous les Etats-Unis. L’Occitane  fait encore mieux avec 210 points de vente. J’ai vu récemment une boutique Lancôme dans Potomac Mills, le plus grand centre de magasins d’usines de la région.

Des PME françaises réussissent aussi à l’export. SEPRO, une entreprise vendéenne est spécialiste de la robotique. Olmix, une bio-raffinerie à base d’algues, exporte depuis la Bretagne. Leurs points communs : entreprise à taille humaine, innovation, qualité.

L’exemple d’Aldi illustre la réussite de l’exportation d’un style de business – allemand – et non d’un positionnement – français. Alors, pourquoi laisser la place à une chaîne de boulangerie-cafés comme la Maison du Pain en Allemagne ou Au Bon Pain aux Etats-Unis ? Alors que le goût américain (gras et sucré) et les habitudes alimentaires (vite-vite et avec les doigts) nécessitent certainement un long apprentissage avant d’être en phase avec une blanquette de veau, je vois certainement de la place pour des marques comme Orangina, LU, Petit Bateau ou Aubade.

Avez vous d’autres exemples en tête ? Merci de me faire partager !

Sources:
1) Dossier INSEE, L’internationalisation des entreprises et de l’économie française, Octobre 2013
2) Statista
3) Institut für Mittelstandsforschung
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2 Comments

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  1. says: Isabelle

    merci d’avoir mentionné mon histoire : pas facile effectivement de s’y retrouver dans tout cela.
    je viens d’apprendre que Haribo était allemand, je pensais que c’était fançais, vu qu’ils ont une usine à Uzes.. Par contre, effectivement, je suis toujours assez déçue quand je vais chez World Market de constater que l’on trouve très peu de produits français mais plus des produits italiens.. par contre, je suis bien contente d’avoir un Trader Joes dans la metro de Kansas City car grace à cela on trouve beaucoup de produits très français …

    1. says: Catherine

      Merci Isabelle, mon coté allemand trouve souvent chaussure à son pied chez Worldmarket. Mais c’est vrai qu’ils ne sont pas forts sur les produits français. Avis aux petites et moins petites marques françaises ! Worldmarket a du potentiel et 260 points de vente aux Etats-Unis. Une bonne adresse pour débuter, allez les voir !